RAPIDO

Trop vite pour être honnête.

Thaïlande, île de Phuket, Patong, 1er novembre 2015. Ronald avait encore beaucoup bu, on s'était disputé et il m'avait chassée mais au bout d'une heure j'étais rentrée à la Résidence Prince Edouard où je l'ai trouvé dans la salle de bain, mort, suicidé. Si je m'attendais à ça... ses colères étaient fréquentes mais à chaque fois on s'était réconcilié jusque là.

Mon nom est Paweeni Sooksan, j'ai 30 ans, depuis 5 ans la petite amie d'un expatrié belge de 60 ans ce qui ici n'a rien d'étonnant. Nous sommes nombreuses : gogo girls, fast-food ladies, étudiantes... à la recherche d'un sugar daddy. Le mien, son nom c'était Desruelles, et même si on se voyait très souvent je dois bien avouer que je ne sais rien de sa vie d'avant sauf ce qu'il disait alcoolisé la nuit entre deux longs silences. Juste, il faut répéter que nous thaïlandaises on aime bien faire l'amour même quand notre homme a bu. Cela nous rend zen et nous permet de garder un bon moral au lit comme au travail.

Une nuit, Ronald, il m'a vraiment surprise. Il m'a dit que malgré son âge il était toujours celui qui avait couru le plus vite le 100 mètres en Belgique et même qu'il était sûr de lui, son successeur n'était pas né dans le pays. L'histoire était vraie car dessoûlé il le jurait et il disait à mon oreille : « Mais tu sais, "petit lotus" (1), ce record je l'ai volé ». C'était disait-il dans une ville, Liège, en 1985 qu'il avait profité de la négligence des gens chargés de contrôler la course : vent favorable pas mesuré et faux départ pas sanctionné.

Ce n'est que mon avis, je pense que Ronald vivait mal avec cette triche qui l'a poursuivi toute sa vie. Mais alors pourquoi ce matin aller se pendre pour une histoire de restaurants qui perdent de l'argent et écrire pour dire que la vente de ses affaires servira à payer les salaires alors que pour son "petit lotus", rien, pas un bath ? Je dois bien conclure que c'était juste un jouisseur bon coureur mais beaucoup buveur qui a mal fini, balancé au bout d'une corde au-dessus des W-C.

C'est vrai aussi que Ronald disait que les plus belles années de sa vie, il les avait passées en Italie, à Sienne où athlète expatrié il avait vécu la dolce vita. Il appelait ça la période "nana, vespa, pasta" où, disait-il, il avait croqué tout ce qui passait. D'après lui, beaucoup de ses compatriotes ont envie de Sud et quand ils y ont goûté, souvent ils ne peuvent plus s'en passer.

Après, je ne sais pas grand chose : qu'il était né à Louvain, que son modèle c'était un certain Carl Lewis un américain, beau et grand comme lui mais en noir, qu'il avait un jeune frère Patrick, athlète aussi, aujourd'hui consultant et dans la politique. Il est vrai que de ce que l'on voit de Ronald sur internet je n'ai pas tout compris mais ce qui revient le plus souvent c'est "flamboyante kerel" (2)... Aussi, ils parlent d'une histoire de dopage qu'il ne m'a jamais racontée. Demain, la nouvelle de la mort de Ronald sera dans Phuket Gazette avec la photo des policiers et des ambulanciers autour du corps dépendu, couché dans la salle de bain.

À la fin, il a été très correct vis-à-vis de ses employés mais très radin avec sa fiancée. Il est mort emportant son record volé et peut-être, comme il dit, n'est-il pas né celui qui ira le lui enlever. Maintenant, moi, je peux pas rester comme ça, je pars à la recherche d'un autre tonton-argent avec un gros portefeuille, plus épais que celui de Ronald qui ces derniers temps avait beaucoup maigri... d'ailleurs on m'a dit le plus grand bien des derniers arrivants australiens, à la fois riches et câlins... en tout cas plus jamais un belge flamboyant qui vous raconte des histoires à courir debout.

(1) lotus : aussi marque belge à croquer
(2) gars flamboyant

ebook feuilleter le livre à l'aide des flèches ci-dessus

pdfbook télécharger le livre